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Boulogne, 1922...
Par Marco

Mise à jour: 1er novembre 2010
 
 

Boulogne, 1922.


Par ces matins blêmes et humides, la Terrot aura du mal à démarrer, pensai-je... même avec le titillateur et cette fabuleuse invention qu'est le levier de démarrage (le "kique", comme disent les rosbeefs), çà ne sera pas une partie de plaisir... la dernière fois, il m'a fallut une heure et un démontage du cylindre pour lui faire sortir un malheureux pet noir.

Elle me bouffe de l'huile, c'est sûr.

Quelle année !
De mémoire d'homme, on avait jamais vu çà, de la pluie, des torrents de pluie, de la boue, des torrents de boue, la fin du monde est pour demain, Tzobi me l'a assuré !
Il se murmure surtout que l'éclairage public au gaz, nouvellement installé à Paris, serait en cause: il réchaufferait l'air au dessus de la capitale et détraquerait ainsi le temps.
Moi je l'aime bien ce nouvel éclairage, la rue Saint Denis est mieux fréquenté depuis son installation: j'en avait marre de toujours tomber sur des boudins aux portes cochères.
Déjà que se la faire laver à l'eau froide, c'est pas bien engageant...

C'est beau, la "modernité", comme y disent.

Il paraîtrait même que de ces "bec de gaz", ils en installeraient sur le futur chemin périsphérique, depuis peu en construction, et longeant, on ne sait trop pourquoi et dans quel but, les quelques villages d'ouvriers autour de la capitale.
C'est mon pote Michel qui me l'a dit.
Il en est pas trop content, le père Colucci, de ce chemin, çà va le couper de paname, qu'il dit, il va se trouver de l'autre côté... quel râleur, çui-ci, m'étonne pas qu'il roule sur une FN.
"ON L'ENTEND BIEN, LE MOTEUR !! " que je lui sort souvent... et lui, de faire des grands gestes, de pousser sa gueulante... il devrait faire du théâtre, tiens, au lieu de passer sa vie au café à jouer au dauphin et au bébé pétanque...

Bon, qu'importe, j'irais à la FC, Folle Concentre, avec la Vincent.
Après tout, avec ses 12 chevaux et sa tige à culbuter latérale, c'est quand même le dernier cri de la technologie.
C'est mon pote Lawrence de Glaouichie qui me l'a faite acheter.
Çà n'a pas été facile, il a fallut la faire homologuer par l'administration française, qui n'autorise que 10 chevaux, avec une mesure en bout de courroie.
M'enfin, ya juste eu a mettre une rondelle dans le résonateur d'échappement, et voilà, ils n'y ont vu que du feu.

Vivement cette Folle Concentre...
Enterrés tout ces prétentieux du KMFRM, Kiosque Moto Faisant Rienkà Médire, l'élite des kiosques à bla bla, la dernière révolution technologique, l'information acheminée par les tuyaux d'eau et de gaz, parfois même à tout les étages pour les plus riches: encore une fois cette année, je vais leur foutre une pâté monstrueuse.
Certes, le terrain sera difficile: les gorges du Verdon, dont on vient, suite aux téméraires repérages d'un instituteur et d'un archéologue, de creuser à la dynamite une nouvelle route dans le versant nord, sont réputées comme destructrices de mécaniques et d'homme, il n'est pas rare que l'on en retrouve accrochés aux arbres... le dernier parlait de pourrissage sous les panneaux, d'eau dans les comodos, de garantie et je ne sais quoi encore, il délirait le pauvre, il avait dû prendre un peu trop d'opium ou d'absinthe, il finira impuissant, c'est sûr...
Alors, les freins double came à mâchoires fontes Céringer ne seront pas de trop pour espérer taxer l'élite du Kiosque: Gillou l'Impassable, sur sa Daimler récupérée de la police allemande: un maniaque obsessionnel ce Gillou, avec de drôles de manies bizarres, comme de boire sa cervoise chaude en se baignant dans de l'eau froide.
Il paraît que çà active la circulation.
Je crois surtout que sa Daimler a déteint sur lui, lui manque plus que le sifflet et le bâton blanc.
Nonobstant, il porte bien son surnom, il est véritablement impassable, peut être bien grâce à son système de freinage assez exotique, ma foi, un espèce de réservoir surmonté d'une capuche caoutchouc percé d'un piti trou, pour pas faire monter la pression.
Enfin, un truc compliqué, que même moi j'y ait rien compris au principe.
Ah si, que décidément, le caoutchouc, çà remplace fort bien le boyau, et pas que pour les roues.
Que celui qui n'a jamais chopé une chaude pisse me jette la première lame de rasoir...

Y'aura aussi Georges la Chignole: notre expert ès dissertation méca-niquo-philo-isabello-almérineta-katarinetatchitchi.
Une pince grave en conduite, mais qui n'a pas son pareil pour la mécanique pure et qui dure.
Peut être est-ce dû à une vie sexuelle assez pauvre, il a eu, paraît-il, sa première éjaculation à l'âge de 38 ans, avec Moumoune les Grosses Loches, deuxième porte cochère en arrivant de la droite de la rue Quiquanpoix, juste aprés le bougnat, la maison ne fait pas crédit.
Mais bon, ne le répétez pas, je le sait de Totoche la Pétoche, qui m'a dit que Pascal le Fou lui avait demandé de pas le répéter, lui même étant client fidèle de la dame et ne voulant pas que çà se sache, rapport à sa moitié qui ne pèse pas bien lourd mais sait se servir d'un rouleau à pâtisserie.
Çà compte, dans la vie d'un homme au foyer, le rouleau: çà change du quotidien, surtout manié avec amour et vaseline par Moumoune.
Brèfle, notre ami Georges, roule lui sur une machine très évoluée technologiquement, mais assez peu fiable: je lui répète souvent que de trop rouler dans la capitale lui donne de mauvaises habitudes.
Il finira alcoolique et pauvre, à force de payer des tournées.

Il me tarde aussi de retrouver Rapide Philou, de retour de lointaines contrées, là ouske les hommes vivent sans femmes et nus sous une robe orange, les cacahouètes à l'air.
Et ne connaissent pas la moto.
Les pauvres.
J'irai jamais là bas, on doit s'y embêter comme des hamsters chauves.
Lui, il y est allé suite au conseil du Condom, El Lobi, qui ne jure que par la montée du Kalamoulaïcha et la descente du Kékéblaireau.
Un fou dangereux, quoi.

En plus, il roulent tout deux sur de toutes nouvelles motos teutonnes.
Béhèmewé, c'est la marque.
Avec un nom pareil, çà marchera jamais.
Et avec leur soit disante technologie innovante, encore moins.
Pensez donc, ils comptent contrôler le débit de carburant via un petit orifice nommé "gikleur"... c'est n'importe quoi, jamais on ne pourra enflammer un goutte à goutte !!!

Y'aura aussi Petit Luc, mais qui fait le maximum, l'homme à la moto italienne miniature: il vient d'arriver en France, et il est venu d'Italie à moto, avec femme et enfants et le linge accroché au porte bagage.
Vu la moto, je me demande bien comment il a pu faire, le moteur monocylindre a déjà dû avoir du mal à y rentrer, alors une famille et son four à pizzas... ces ritaux m'étonneront toujours.
D'autant que sa motocyclette est assez en retard du point de vue technique, pensez donc, il roule encore avec un cadre rigide à l'arrière!
Et oui, point d'amortissement sur sa moto, comment voulez vous conserver les anchois sur les pizzas avec un tel système digne de l'ère préhistorique ?
Et pourquoi pas revenir aux roues en boyaux de chèvres, un vrai danger sur le mouillé et le gravier, mhû, qu'est-ce qu'on a pu se faire peur avec çà... ou faire des jantes en bois ?
Tiens, des jantes en bois, c'est une idée...

Moi, ma Terrot dispose de la dernière invention en la matière, et c'est français, Môssieur.
Le principe est celui de deux tubes coulissant l'un dans l'autre (rien de sexuel), avec une butée caoutchouc à l'intérieur du plus large.
Un joint cylindrique en cuir assure l'étanchéité entre les deux, ménageant ainsi un coussin d'air à l'intérieur.
Ce coussin d'air est compressible, certes, mais moins que les ressorts lamellés qu'utilise les glaouiches, et surtout, plus progressivement.
Je vois un grand avenir à cette invention, française, Môssieur.
La marque n'est pas encore déposée, mais l'Etablissement qui fabrique se nomme Ofouréomounalès.
Vais p'têt bien prendre kek actions à la nouvelle bourse de Paris, on sait jamais, des fois qu'il y ait des brouzoufs à se faire sur ce coup... faudra juste changer le nom, un peu long à retenir, surtout pour un motard...
;o)


(la suite, un jour...)