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La vie d'un fou de moto...
Par Philou

Mise à jour: 1er novembre 2010
 
 

La moto chauffait déjà depuis 10 minutes dans le garage souterrain.
10 mn à guetter….
"Pourvu que personne ne me dénonce !"
Depuis que la loi Voynet avait été votée en 2001, Philou était devenu très prudent.
Excessivement prudent même, depuis que son frère avait récolté 3 mois de prison avec sursis et une confiscation de la Yam 1300XJR.
Putain de voisine !
C'est elle qui avait balancé le frangin, au motif qu'il laissait tourner son moteur sur la latérale tous les matins.
Bon, personne dans le parking, moteur chaud.
Casque enfilé.
Gants velcro-isés.
Un plip sur la télécommande du garage.
C'est parti.

Arnaud lui avait parlé d'un JoeBarDealer.
Le JoeBarDealer était nouveau sur Nancy.
Il disait avoir pas mal vendu de bécanes sur Paris. Mais la nouvelle BRP (Brigade de Répression de la Pollution) devenait de plus en plus efficace, et le JoeBarDealer préférait maintenant bosser dans l'Est.

Philou devait retrouver Arnaud de l'autre côté de Nancy, sur un grand parking de l'agglomération.

La Kawa 1100ZRX affichait 83 524 kilomètres. Elle datait de 1998. Moteur pour l'instant sans histoires. Pas encore limitée, la castration était pourtant obligatoire depuis la loi Voynet.
34 chevaux.
Avec ses 102 chevaux à la roue arrière, la ZRX était loin de cette limite. Mais du moment que la BRP ne lui tombait pas dessus ……

Feu rouge.
Arrêt.
Tiens, elle est mignonne la nana sur le scooter à coté.
Sac à dos, style élégant, tee shirt, autocollant "Vive la biomasse !".
Philou la mate machinalement.
"Gros con".
Il ne lui avait rien dit.
"Euh pardon mademoiselle ?"
"Gros con ! Au feu rouge, on coupe son moteur à explosions. Dégueulasse !"
"Ah oui… euh … excusez moi, mais vous étiez si jolie que….."
"Gros con, je pourrais te dénoncer !"
"Non, Mademoiselle, acceptez mes excuses, c'est un oubli !".
Bon, feu vert, on redémarre illico.
"Au revoir Mademoiselle, et désolé encore".


Tourner à droite.
La saloperie de scoot électrique disparaît dans le rétroviseur.
Depuis la loi Voynet, les feux rouges signifiaient "arrêt du moteur".
Que de changements dans le quotidien des Français ! Appartements limités à une température de 18 degrés. Abonnement obligatoire aux transports en commun. Un véhicule à moteur à explosion par foyer. Eoliennes sur le toit des immeubles. Façades photo-voltaïques. Voitures neuves à 6 places minimum. Moteurs électriques pour les taxis, voitures de l'état, ambulances (valait mieux pas avoir besoin d'un secours rapide). Faible consommation obligatoire pour les télévisions, PC, micro-ondes, machines à laver ….. Rasoir électriques interdits à la vente. Semaine des 4 jours, avec interdiction de se déplacer hors de son domicile le 5 ème jour.
L'arrêt total et immédiat de l'industrie nucléaire avait dans un premier temps contenté les écolos, satisfait beaucoup de monde, et inquiété seulement quelques lobbys.
C'est le premier hiver qui avait déclenché le démarrage des quolibets.
Les inspections de la BRP dans les appartements et maisons pour vérifier la température n'étaient pas très populaires !

Arrivée sur le parking.
Arnaud était là à côté de sa R1100S jaune.
92 000 bornes à peu près.
Lui qui rêvait depuis qu'il l'avait achetée de changer son pot d'échappement !
Au moins, avec le catalytique, il attirait la curiosité - mais quand même pas la sympathie - des écolos.
"Salut ! Alors il est où ton JoeBardealer ?"
"T'impatiente pas, il arrive !"
Bon ils avaient dû synchroniser leurs montres ceux là.

A ce moment même, arrivait une fourgonnette électrique verte, taggée de tous les cotés ! " Mouvement Populaire Ecologiste" "AtomKraft ? Nein Danke" "Vive la biomasse" "Pour l'Impot pour les Nouvelles Energies".
Arnaud rassure Philou aussitôt:" t'inquiète c'est eux !".
La fourgonnette s'arrête.
Les deux types descendent.
Le premier est grand, tout en cuir noir.
Le deuxième a les cheveux longs, et une espèce de tenue de mécano bleue, une de ces combinaisons en tissu bleu qu'enfilaient les garagistes avant l'arrivée massive du moteur électrique.
"Moi c'est Mich Fireblade, lui c'est Mad CBR.
"Salut les gars".

Les JoeBarDealers étaient tous dans l'illégalité complète.
Ces contrebandiers de l'arbre à came fournissaient aux derniers motards tout ce qui avait constitué leur rêve des années 1980. Echappements libres, filtres à air KN, kits Dynojet, pistons Wiseco, voire motos complètes trafiquées.
Spécialité des fausses plaques.
Les plaques d'immatriculations devenaient très dures à falsifier.
La loi Voynet avait introduit la plaque Voynet pour les motos. Code barres sur les plaques, lisible à 500 mètres par le Mesta CB289.
Chaque motard avait sa plaque à vie.
Plaque vitale, elle contenait une puce électronique qui calmait les Pièges Mesta.
Le Piège Mesta avait pour objectif de contrôler les motards. A chaque feu rouge, un capteur CCD analysait l'arrivée d'une moto. Si cette moto n'avait pas sa plaque Voynet conforme, le feu rouge hurlait, attirant aussitôt les policiers de la BRP. L'objectif était d'éliminer de la circulation les motos "non conformes". Pot d'échappement bruyant, puissance contrôlée au dessus de la limite des 34 chevaux, et hop, retrait de plaque ! D'où l'arrivée des JoeBarDealers….
Plaques de contrebande; trompeurs de banc d'essai Mestapower; brouilleurs de CB289.
Les JoeBarDealers permettaient aux derniers motards de vivre encore leur passion.

Philou zieutait le plus petit des JoeBarDealer. Sous sa combinaison de mécano, on voyait apparaître un cuir. Et les lettres "OL".
"Excuse moi, mais c'est pas la Nankai Doohan que tu portes ?"
Le plus petit des JoeBarDealers acquiesce: "Et oui mon gars ! Et celle là elle n'est pas à vendre !"
Merde alors, une Nankaï Doohan, avec la pub Repsol ! Cà faisait longtemps qu'on en voyait plus !
Avec l'interdiction des GP en Europe et l'arrêt de l'industrie du tabac, la compétition moto était morte.
Résultat, toutes les reliques évoquant les GP devenaient des pièces de collections pour quinquagénaires nostalgiques et fortunés.
Combien de branleurs en GXR avaient fait fortune en revendant leur Dainese ou leur Arai¨!!!!
Une combi en cuir valait au bas mot 80 000 Euros si elle comportait une pub pour l'industrie du pétrole ou du tabac !
Le casque replica d'un Doohan ou d'un Biaggi avait crevé les plafonds, le jour où leur jet privé s'était écrasé en 2001, victime d'un attentat des Ultra Ecologistes, lors de la dernière année de GP jamais organisée.

Mich Fireblade semblait nerveux.
"Bon c'est pas tout mais qu'on aille vite".
Il sort une carte Michelin.
"Alors voilà, l'arsouille commence à Besançon.
Vous serez une trentaine.
L'inscription est fixée à 500 Euros"
"Vache, vous vous faites pas chier"
"Faut savoir ce que tu veux !
Le gagnant reçoit 10 000 Euros.
L'arrivée sera jugée là 10 bornes avant Nancy. Trajet libre, mais pas beaucoup de choix. Interdiction d'autoroute.
Bon les gars, j'ai tout ce qu'il vous faut: BT56SS, plaquettes spéciales… vous me dites ce que vous voulez ?"

Philou opta pour des BT57, Arnaud pour des BT56.
La Kawa avait la sale manie de bouffer les pneus trop vite et à 2000 balles le pneu arrière, çà faisait réfléchir !
La fourgonnette des JoeBarDealers s'éloignait, prêts à faire un deal de plus dans un autre rendez vous avec d'autres motards.
Les deux potes Arnaud et Philou écumaient les arsouilles illégales organisées par les JoeBarDealers depuis 1 an.
Après six arsouilles, ils s'étaient constitués un joli pécule de 30 000 Euros.
La règle des deux amis: que l'un des deux gagne, et on partage tout !
L'arsouille de Besançon était intéressante. 10 000 Euros au gagnant.
La route, ils la connaissaient, pour l'avoir souvent effectuée à la belle époque.
Le danger venait surtout des Mesta CB289.
Il allait falloir encore une fois mettre les fausses plaques, toutes au code barres d'un ami motard disparu.
Mais il y avait de l'Euro en vue !
"Rendez vous ce soir à 18h à la station gouvernementale ! On pioncera à Besançon en haut du col. Au moins on sera frais au départ !"
La distribution d'essence était controlée par l'état. A 2 Euros le litre. Avec limite de 20 litres par semaine.
Mais les arsouilleurs connaissaient toutes les adresses pour avoir de l'essence en fraude.

Retour à la maison. Moto dans le garage. Préparation psychologique. Un bon vieux Gary Moore. La lecture des vieux Moto Journal parlant de motos fabuleuses comme l'Hayabusa. Celle qui avait déclenché la colère de Gayssot; celle qui avait rapproché Voynet et Gayssot.
Le plus dur était l'absence du jeudi matin.
Depuis vingt ans, le jeudi matin, c'était MOTO JOURNAL ! En 2001, la promotion par voie de presse de toute industrie polluante était interdite.
Plus de Moto Journal !
En échange, les citoyens avaient droit à EcologieMagazine, Nourriture Saine 3000, Bio Journal, Communautés Associatives et autres instruments de promotions d'une vie saine, équilibrée, en harmonie avec la Nature.
Cette presse était controlée par un seul homme, Kundun.
Kundun menait la vie dure aux motards dans sa presse, un vieux contentieux…
Lui même avait été motard dans sa jeunesse, mais piètre arsouilleur.
Il se vengeait désormais avec sa presse...


Les deux arsouilleurs arrivèrent en haut du col vers 20h30.
Le petit café-hôtel-restaurant était tenu par un ancien carrossier, Mr Gadoue.
Comme beaucoup de travailleurs du 20ème siècle, il avait dû se convertir à la nouvelle donne de ce début de 21ème.
La carrosserie ne nourrissant plus sa famille, il avait trouvé ce havre de paix, 30 km au sud de Besançon, en direction de Pontarlier, en haut d'un col bien connu à l'époque de tous les motards du coin.
C'est là que dans les années 90, tous les amateurs de virolos venaient s'avaler un sandwich, sur la terrasse chauffée par le soleil, avec une vue magnifique sur une courbe au revêtement impeccable. Et ils passaient le temps, entre inconnus, à parler moto, à regarder leurs confrères passer cette courbe, le genou au sol.
Mr Gadoue avait 1 femme, 5 enfants et 3 chats.
Si cette charge de famille lui interdisait tout manquement à la loi, il n'oubliait pas qu'il avait été lui aussi motard. Il accueillait avec plaisir les derniers chevaliers en deux roues, leur parlant de ce Paris Dakar qu'il aurait sûrement fait si…
Philou et Arnaud étaient pour lui plus que des habitués mais des amis. Les deux compères s'arrêtaient toujours en haut du col, quand ils partaient ou revenaient des Alpes.
"Je vous mets les mêmes chambres que d'habitude ?"
"Comme d'hab ! Tu peux planquer les motos dans le hangar, des fois qu'un JoeBarDealer ait l'idée de piquer des pièces ?"
La soirée s'écoula tranquille.
Les enfants demandaient comment c'était avant. Le petit Baptiste, 8 ans, avait une photo d'une vieille Toyota MR2, à moteur central, qui avait appartenu à son grand père. Il fallait à chaque fois lui raconter la même histoire ! Qu'il fut un temps où les voitures à deux places et 160 CV étaient autorisées ! Et à chaque fois, le petit Baptiste écarquillait ses yeux, et replongeait dans sa photo, tout amoureux des courbes de la voiture de Papy.
Avant d'aller se coucher, les trois hommes se posèrent une dernière fois en terrasse, pour recommencer une des ces éternelles discussions.
"je te dis que si on avait manifesté, on n'en serait pas là".
Arnaud était le plus jeune et le plus virulent.
Manifester ?
Philou avait participé avec ses amis dans les années 90 à quelques unes des ces manifs motardes. Il lui revint en mémoire l'époque de la première loi: l'interdiction de circuler les jours de pics de pollution. La manif avait été entachée par le comportement irresponsable de quelques uns; burns, roues arrières, tout pour discréditer les organisateurs. Si les motos avaient ce jour là quand même gagné le droit de rouler les jours de pollution, c'était une victoire à la Pyrrhus.
Il était temps d'aller se coucher.
La journée du dimanche serait dure.

Communiqué du 21 février 1998: "Le train de mesures présenté ce matin par Dominique Voynet, en Conseil des ministres, atteste que le gouvernement commence à se préoccuper sérieusement de la lutte contre la pollution de l'air par l'automobile, facteur de maladies chroniques, de surmortalité et de nuisances de toutes sortes (bruit, occupation de l'espace)."
L'arrivée d'un ministre Vert au gouvernement avait été perçue comme un ballon d'oxygène, dans cet univers politique un peu sclérosé par les habitudes.
La ministre avait son franc parler; les Verts n'avaient aucun tabou.
Un jour de 1998, Denis Beaupin, porte parole des Verts, déclara:
"Brider la puissance des voitures au niveau des vitesses autorisées - 130 km/h sur autoroute - permet d'économiser 20% de toutes les pollutions, et notamment les gaz à effet de serre."
Personne n'avait réagi.

Communiqué du 13 mai 1998: "Les Verts continuent à appeler le gouvernement, les maires des grandes villes et les instances régionales à accélérer leurs efforts - à la mesure de ce problème de santé publique - pour des mesures plus larges et plus rapides dans le développement des transports en commun et des modes non polluants de déplacement (voiture au gaz et vélo), ainsi que pour le rééquilibrage de la fiscalité en faveur des carburants les moins polluants."

Communiqué du 16 septembre 1998: "Sous l'impulsion conjuguée du groupe vert au Parlement européen et de Dominique Voynet, au sein du conseil européen de l'environnement, l'Union européenne a entériné un ambitieux programme de réduction de la pollution automobile en imposant des normes très strictes tant sur les carburants que sur les moteurs."
La première journée "En ville sans ma voiture" eut lieu le 22 septembre 1998.
Allez dire à un motard de ces années que son plaisir était déjà en danger; il ne vous aurait pas cru.
Il avait pourtant tort.

Le petit Baptiste ouvrit la porte vers 07h30.
"Philou, Philou, dépêche toi, dépêche toi, ils sont là. Papa les occupe".
Merde, la BRP ! Bon, on planque le casque sous le lit, on jette le cuir dans le sac à dos, un jean, un tee shirt.
Arnaud !! Prévenir Arnaud !!! Il est capable de descendre directement dans le hangar et de sortir les motos !
Cinq grands pas, la chambre d'à côté.
"Ouf, tu es encore là ! Gaffe, ils sont ici, le gosse m'a prévenu. On descend pour le petit déjeuner, comme si de rien n'était".

Les trois fonctionnaires de la BRP étaient dans la grande salle à manger.
Ils épiaient tous les visages.
Arnaud et Philou n'avaient rien fait d'illégal.
Pas encore pour la journée.
Mais les motos n'avaient pas été castrées, et ils les avaient équipé de fausses plaques Voynet pour l'arsouille.
Que les types de la BRP aient l'idée de fouiller le hangar et c'était au moins la confiscation des motos.
La Brigade de Répression de la Pollution utilisait souvent la délation.
La loi Gayssot, votée en 1999, avait réhabilité une tradition française: dénoncer son voisin.
Pourvu que personne ne leur ait parlé de l'arsouille de Besançon, sinon les deux amis auraient fait le voyage pour rien !
Merde, 10 000 Euros qui s'envolaient !
Le plus petit des trois fonctionnaires prit la parole: "Un enseignant du coin a vu deux motos s'arrêter ici hier soir. Mr Gadoue nous dit qu'elles sont reparties dans la nuit. Si quelqu'un avait des nouvelles de ces motos, qu'il appelle la Brigade de Répression de la Pollution. Nous les suspectons de ne pas être conformes".
"Putain de profs!" pensa Philou.
C'est donc çà: quelqu'un les avait vu monter le col à bonne allure hier et avait vite cafté.
Les trois fonctionnaires remontèrent rapidement dans leur véhicule et partirent dans la direction de Pontarlier.
Les deux arsouilleurs garderaient leurs motos cette fois encore.

Le choc eut lieu en 1999.
La classe politique était sans dessus dessous. Deux extrêmes droites, une droite divisée pour une simple élection régionale, un président sans pouvoirs, une gauche "plurielle", la sortie de la marginalité de l'extrême gauche, et un ex-leader de mai 1968 à la tête des Verts.
Les européennes arrivaient.
Le ministre de l'Education d'alors, un certain Claude Allègre, proposa au mois de mars une nouvelle réforme de l'éducation.
Les syndicats enseignants promirent alors de voter Vert.
La gauche grondait.
Et quinze jours avant les européennes, un convoi de déchets nucléaires déraillait au sud de Reims.
Périmètre de sécurité de 10 kilomètres, panique, population déménagée de force.
Aux européennes, les Verts eurent 48% des voix.
Le président démissionna.
Le premier ministre devint président à la suite d'élections présidentielles anticipées et d'arrangements au sein de la gauche plurielle. Et Mme Voynet inaugura un nouveau ministère: Ministre Principal, chargé de l'Aménagement du Territoire, de l'Industrie, des Transports et de la Réforme. Le nouveau ministre de l'Education, Pierre Tricé, démissionna rapidement, quand il fut question d'encourager les enfants à dénoncer les parents pratiquant des excès de vitesse.

Le petit déjeuner avalé, il était temps de descendre sur Besançon. Mr Gadoue vendit quelques précieux litres d'essence aux deux motards. Philou pensa également à remplir ses deux petits réservoirs additionnels sous la selle.
Il n'était jamais question de laisser chauffer les moulins en plein air.
Trop risqué.
La descente eut lieu sur un rythme cool, jamais plus de 4000 tours. L'huile montait calmement en température, les esprits se préparaient à une nouvelle arsouille. La Kawa et la BMW étaient en forme, les genoux sortaient tout seuls.
Droite, gauche, freinage appuyé, redroite le long de la falaise, traversée prudente des villages déserts.
Avec la limitation des transports privés, la population s'était massivement implantée dans les villes, plus près des emplois.
Aucun gouvernement n'y avait pensé.
Les campagnes n'en étaient que plus belles pour les deux motards.
Arrivée au point de regroupement prévu.
La fourgonnette verte des JoeBarDealers était là. MichFireblade et MadCBR vendaient leurs litres d'essence aux arsouilleurs. Tous les arsouilleurs arrivaient. Luc Cagive, Stefano Felloti, DjiDji Arno, Phil le Fou, et Jésus étaient déjà là.
Arnaud et Philou les connaissaient bien ceux là.
Des coriaces.
Pas forcément les motos les plus rapides ou en meilleur état.
Mais des artistes de la route, des pros pour échapper aux BRP, des spécialistes de la fausse piste et du raccourci.
Tous se respectaient entre eux.
L'arsouille serait dure.
..


Luc Cagive était le plus vieux.
Depuis que Philou l'avait surnommé Astérix à cause de sa moustache et de sa petite taille, les deux motards s'appréciaient.
C'est vrai qu'il y avait de l'Astérix dans ce petit bout d'homme ! Le regard malicieux, la moustache rebelle, et tout l'aplomb que peuvent avoir les hommes quand ils sont petits et qu'ils ont du caractère !
Luc avait organisé le dernier rassemblement des motards internautes en 2000. La position de leader que lui avait confiée les participants à cette "NetConcentre" lui avait valu beaucoup de soucis. La BRP, toute fraîchement créée, débarqua le premier soir du rassemblement, pour un contrôle des nuisances des motos. Plus de la moitié furent confisquées. Des motards se rebellèrent; ils finirent leur week-end au commissariat. Le groupe de discussion Internet fr.rec.moto, qui avait servi à organiser le rassemblement, fut supprimé de tous les serveurs informatiques. Luc perdit dans l'histoire toutes ses illusions sur la nouvelle société; et aussi un peu d'argent.
Il y gagna un nouveau rôle de leader.
Luc était devenu Astérix.
Depuis Lille, Luc-Astérix animait un réseau d'influence; motards, journalistes, décideurs politiques échangeaient leurs idées grâce au serveur informatique géré par Luc.
"Alors Astérix, tu as du nouveau pour nous ?"
Du haut de son mètre 85, Philou tapait l'épaule de Luc.
"Mouais, j'ai du nouveau ! Les chiffres de la Prévention Routière, les gars ! 8217 morts en 2002 ! Avec les bagnoles limitées à 130, les motos castrées, les Français arrivent encore à s'entretuer !"
La nouvelle était de taille.
Peut être que Jean Claude Gayssot, ministre chargé de la Répression Routière, allait devoir changer son discours.
La limitation des vitesses, puis le bridage des véhicules n'avait pas rendu les routes plus sûres.
Philou admirait la Ducati Mostro de Luc.
Grise.
Moteur de 916.
Freins Beringer avec étriers six pistons.
Un vieux monsieur s'approcha de Philou. "Elle est belle hein ?"
"Oui" répondit simplement Philou.
"Moi aussi, ils m'ont tué mon plaisir"
Philou leva la tête. Le vieux était motard ? "C'était quoi votre moto ?"
"Je suis pas motard. Je suis chasseur".
La chasse avait été interdite en 2001.
"M'en fous, j'aime pas la chasse" répond sèchement Philou.
"Et moi j'aime pas la moto. Mais faut pas qu'ils l'interdisent !"
Merde, le vieux avait peut être compris le problème.

MichFireblade s'approche des 34 concurrents.
"Bon l'arrivée est jugée à Flavigny sur Moselle.
Pas d'autoroute.
Parcours libre sinon.
C'est un pote à moi qui fera le classement là bas.
Pour le gagnant, qu'il m'appelle sur ma radio-montre pour recevoir ses Euros !"

Philou se rapproche de sa Kawa;
Arnaud monte sur sa R1100S;
DjiDji Arno enfourche sa Suzuki Hayabusa;
Jésus et ses grandes jambes se casent sur la Varadero;
Phil le Fou fait chanter son 4 cylindres en V.
Tous les arsouilleurs se préparent…
Trente quatre moteurs démarrent.
Des twins, des 4 cylindres, des V4, des flats…
Tous les bruits de la création mécanique se confondent…
Mais qu'est ce qu'il fout celui là !!!!!!!
Stefano Fellotti part comme un dératé, la Ducati 916 se met en wheeling, et l'italien hurle "Ma qué ! On est tous des as !"
Et la 916 avec double réservoir et la puce modifiée anti-cheat-mode pour que la BRP ne puisse pas l'arrêter à distance s'éloigne !
"Putain de Ducati" marmonne Philou.
Mich Fireblade regarde le spectacle, pas étonné le moins du monde. "Bon ben…. Allez y aussi !"
Gazzzzzzzz !
Panique à la sortie de Besançon. Trente quatre motos qui se suivent, se doublent. Les passants interloqués. Les forces de police qui réalisent qu'un départ d'arsouille a été donné.
Des deux potes, la R1100S jaune avait été la plus prompte. Une Suzuki 750 GSXR talonnait Philou. Les lignes droites avant Vesoul allaient être chaudes ! Premier virage serré avant Voray l'Ognon. La GSXR fait l'extérieur. Philou élargit un peu sa trajectoire. La GSXR hésite, coupe les gaz, remet les gaz, l'arrière décroche à 200 km/h. La GSXR finit dans les champs.
Un concurrent de moins.
Devant, ils devaient être une dizaine: Arnaud, Stefano Fellotti au départ rapide, Luc-Astérix, DjiDji Arno et son Hayabusa, et quelques missiles japonais aux mains d'arsouilleurs débutants. Derrière il restait des pointures comme Jésus avec son autonomie de 300 km, et sa fâcheuse manie de trouver le raccourci génial !
La Kawa ZRX avait la Mostro grise en point de mire.
Ne jamais couper les gaz, gagner mètre après mètre.
Vitesses: de 200 à 240 compteur.
Aux environs de Rioz, la Kawa avale d'un coup la Ducati ! Arrêté à côté de sa moto en panne, Astérix avait l'air furieux dans le rétroviseur de Philou. Encore une fois, son italienne le trompait !
Traversée de Vesoul.
Du calme.
Ne pas se faire prendre.
On allonge son bras gauche le long du corps, comme un touriste. La BRP est forcément prévenue maintenant: avoir l'air d'un promeneur, surtout pas d'un arsouilleur.
Traverser Vesoul sans histoire.
C'était sûr.
Côté droit de la chaussée.
DjiDji Arno, les menottes au poignet: la BRP charge l'Hayabusa dans une fourgonnette électrique. Pas moyen de passer inaperçu avec une Hayabusa !
La Suzuki Hayabusa était apparu en 1999. En pleine hystérie Gayssot. Et Suzuki qui parlait dans ses publicités d'une "patate d'outre-tombe" !. "Putain de publicitaires". Chez Suzuki, on se vantait de la signification du nom Hayabusa: un faucon pèlerin au Japon. Quelqu'un aurait pu les prévenir que l'Hayabusa avait aussi été un avion des forces japonaises pendant la Seconde Guerre Mondiale !
Triste destin ! Dès septembre 1999, Suzuki vit toutes ses Hayabusa refusées aux Mines.
L'arrivée de ce missile fut l'excuse idéale pour limiter toutes les nouvelles motos arrivant sur le territoire français à 34 chevaux.
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