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Paupérisme...
Par Chien Brun

Mise à jour: 1er novembre 2010
 
 

J'suis vachement concerné par les problèmes de sécurité des deux roues à Paris, j'ai ma carte à la FFMC, des bandes fluo réfléchissantes sur le carénage de Vieux Charles.

Je participe à des actions de sensibilisation dans les foyers pour jeunes filles, je bloque la rue de Rivoli tous les samedi (ça demande pas un effort surhumain) et je milite pour l'extinction du paupérisme après 22h.

Mais après toutes ces années de militantisme et d'engagement, je suis parvenu à un constat amer.
On se trompe de cible.

Le plus grand danger, pour le motard, c'est pas les taxis, c'est pas le bus c'est pas le téléphone au volant, la peinture blanche sur les bouches d'égout, les AX tunées le vendredi soir et les Audi A6 le dimanche.

Le plus grand danger, pour le motard Parisien, ce sont les jolies filles.
Encore hier je l'ai constaté.

Je parle pas des jolies filles au volant. Celles là, elles ont un boîtier noir collé à l'oreille, qu'elles sont obligées de soutenir d'un bras.
C'est très moche mais je pense que c'est là qu'ils ont logé le soft "conduite à Paris.exe" qui réclame une extension de mémoire conséquente par rapport à la configuration d'origine. C'est pour ça qu'elles ont l'air d'avoir des boîtiers antivols : si t'arraches le boîtier ça se met à hurler.
Y'a peut être de l'encre qui gicle, aussi.

Hell.

Non, le vrai danger c'est les jolie filles dans la rue, sur les trottoirs, qui marchent.
Ca distrait, ça monopolise l'attention.
C'est facile à vérifier, les spécialistes de la sécurité routière ont fait un test, là dessus.

C'est le test, dit de "l'Élan amoureux".

Sur une ligne droite, à Monthlery par exemple, tu fais rouler un motard à 70, 80.
Sur sa trajectoire, tu disposes des cônes censées provoquer un évitement, et pour être sûr que le motard va être tenté d'éviter quelque chose, tu fais arriver par sa gauche un autobus (ligne 38, par exemple : rapide, silencieux, énervé : facilement mortel), tandis qu'au deuxième plan apparaît un gendarme en tenue de gendarme tenant un sextant et sur la droite marche en lui tournant le dos une jolie fille d'un pas léger sur un trottoir amené pour l'occasion.

Dans un clip pour les motards de la police, tu verrais le motard au regard d'acier empoigner d'un geste sûr son frein avant, son frein arrière, pas bloquer la roue, je descends les rapports, contre-braquage, olé le bus, je rétablis je suis sous la vitesse maximum autorisée j'ajuste mes lunettes de soleil et je salue le collègue parti faire des relevés topométriques.

Ouais, mais zyeute où va le regard du motard, AVANT toute autre priorité : tout juste, vers la fille. Même entre le bus et les cônes, à deux doigts d'embrasser la carrière de géomètre en uniforme, il trouve encore le moyen de commencer par analyser les perspectives. Oha, un instant de raison, le temps d'établir un gabarit, façon Steve Austin : on le vois au ralenti mais en fait ça va vachement vite. Une sorte de système IFF adapté à la psychologie profonde du motard, quoi.

Pour être honnête, y'en a 40 % qui regarderont AVANT tout le gendarme en tenue de gendarme, jamais la jolie fille. Les scientifiques se sont penchés là dessus aussi, et c'est pas du tout ce qu'on croit, la peur du gendarme et tout ça.
Ils appellent ça le syndrome de "Village People" : tu mets un indien à la place du gendarme, ils regardent pareil. Un conducteur d'engin de chantiers, toujours pareil, enfin si le motard vit toujours. Je vais pas vous faire toute la pochette du disque, vous avez sûrement encore le 45 tours quelque part. L'un dans l'autre, ils regardent pas où ils devraient, tout comme pour les jolies filles.

On devrait tous regarder le bus mais on le regarde jamais.

Les scientifiques ne se sont pas penchés sur les 10% qui regardent effectivement le Bus. Comme ils seront dans les statistiques des survivants, on a le temps de s'en occuper plus tard.

Alors, face à ce fléau, des solutions ?

On pourrait supprimer les jolies filles de la proximité des routes.
Mesure efficace, mais qui ne règle pas tout.

D'une part ça ne sauvera pas les 40 % qui regardent l'indien.
D'autre part, parmi les autres, et c'est la faiblesse du phénomène démocratique, je mets ma main au feu qu'on va en trouver plein, peut être la plupart pour s'élever contre une mesure aussi radicale, avec le discours selon lequel si le peuple motard est victime d'une tentative d'extermination par l'autre partie de l'humanité, il est plus que jamais primordial qu'une poignée d'entre aux puissent se consacrer au renouvellement de l'espèce, et pour ça il faut des jolies filles.
Comme c'est pas aux Marroniers ni chez leur conc' qu'ils vont les trouver, faut leur laisser une chance dans la rue.

Et puis, ça sauvera pas les jolies filles.

Qu'est ce qu'on en fait une fois qu'on les a enlevées de la proximité des routes ?
Nan nan, je ne prends pas les adresses de centres d'hébergement par mail privé, j'ai déjà laissé la mienne à la préfecture.

On pourrait les camoufler.

Mais pas en gendarmes, sinon on va perdre d'un côté ce qu'on gagne de l'autre, sans parler des relevés topographiques fantaisistes, la carte Michelin du coeur et l'IGN bucco-dentaire.
On peut pas les camoufler en autobus non plus, rapport au problème du stationnement dans Paris.
Pourrait les camoufler en motards, j'aime bien. j'ai vu des expérimentations sur le site du Chevalier noir et d'autres, et Demi Moore en blouson Bultaco c'est très convaincant.

Moi en tout cas je suis convaincu depuis longtemps.

Mais si vous voulez me faire rater le bus, vous y prenez pas autrement.

Y'aurait bien une solution qui irait dans le bon sens, ce serait de supprimer les gendarmes de la proximité des routes.
D'accord, on joue sur la marge, mais on touche les 40% qui prennent pas le bus et dont le système IFF est réglé un poil trop riche.
Et je suis pas sûr que les autres, ceux qui font des relevés topographiques sur les jolies filles trouveraient à se plaindre de la disparition des gendarmes du bord des routes.

Je réfléchis, je réfléchis, et je suis à deux doigts de faire la proposition à Delanoë, et en même temps je me demande si c'est le bon interlocuteur.

Avec tout ce qu'il nous bassine sur les autobus, celui-là, il sera toujours parmi les survivants.



Chienbrun

Et pour la littérature, lisez James Crumley : "Un pour marquer la cadence" série noire, 1991.